Impression 3D, CAO, DAO… : les nouveaux outils de l'artisanat d'art

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Manuels par définition, les métiers d’art font l’objet d’une attention élogieuse. Et pour cause, la précision de leur geste, leur expertise transmise de génération en génération, leur créativité et qualité d’exécution, ainsi que leur technicité nous laissent admiratifs. Pilier de la réputation des grandes maisons de luxe, ces façonniers travaillent les matières les plus rares et les plus difficiles. C’est de leur travail que surgit l’émotion autour d’un objet ou d’un vêtement. De tous temps, ils ont adapté leur art aux nouvelles techniques et matériaux. Depuis quelques années, les nouvelles technologies viennent augmenter leur savoir-faire. Mais peut-on dès lors encore parler d’artisanat d’art ?

Les métiers d’art, d’abord des métiers manuels

Le législateur définit les métiers d’art comme « la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière et nécessitant un apport artistique ». Chaque objet né de l’artisanat porte donc la trace de la main de l’homme, soit le contraire d’une production industrielle automatisée. Lorsque l’on évoque ce geste, on parle ainsi fréquemment de « l’intelligence de la main ». Chez Baccarat, on estime ainsi que « l’œil, la main et l’expertise restent au cœur de tous les processus de fabrication ».

crédit d’image : Baccarat

Des heures et des années d’entraînement et de formation sont nécessaires pour atteindre l’excellence. Aucun modèle ainsi créé ne ressemble à un autre et tout se joue dans les détails : le piqué d’un sac, quelques millimètres de différence entre deux ceintures ou encore la couleur légèrement plus pâle ou foncée d’un foulard. Des infimes variations que seul un œil exercé est capable de déceler et qui font la rareté de chaque pièce, le reflet d’un geste répété à l’infini.

Comprendre l’univers des métiers d’art revient à comprendre la passion qui anime celles et ceux qui les exercent. C’est souvent, l’engagement d’une vie. Dans tous les secteurs du luxe, de la dorure à la haute-couture, en passant par l’horlogerie et la joaillerie, ce sont leurs mains qui créent et fabriquent ces merveilles de précision qui font la réputation des grandes maisons. Les métiers d’art sont les métiers du temps long, aux antipodes de notre époque.

Crédit d’image : i-diamants.com

Toutefois, à l’instar de beaucoup d’autres, ils font face à des mutations profondes de leur environnement qui les conduisent à se réinventer. Ainsi, alors que l’on aurait pu les penser épargnés par la révolution numérique, celle-ci les rattrape. Mais une technique sans geste, est-ce encore de l’artisanat ? L’artisan est-il voué à devenir celui qui conduit la machine ?

Progrès technique et artisanat d’art ne font qu’un

Il serait faux de penser que les métiers de l’artisanat d’art sont restés figés dans le passé. De tous temps, ils ont su évoluer et se saisir des opportunités que la société plaçait sur leur chemin pour augmenter leur créativité et la renouveler. Ainsi, ils se sont emparés des matériaux comme l’ivoire au XIIe siècle, le kaolin au XVIIIe siècle ou encore le Corian au XXe siècle. La mousse en polyester est venue garnir des sièges aux formes de plus en plus complexes, apportant avec elle de nouveaux process et vocabulaire : l’encollage et le moussage plutôt que le guindage et la mise en crin.

Pour autant, les artisans d’art ne se saisissent pas de l’innovation comme d’autres, c’est-à-dire avec précipitation et enthousiasme. Chaque évolution de leur pratique fait l’objet d’une étude approfondie et d’une prudence mesurée. L’innovation doit venir enrichir leur savoir-faire, pas les dénaturer.

Crédit d’image : Blog Solidworks

Jusqu’à présent, l’outil traditionnel se bornait à prolonger le geste de l’artisan. La différence avec les nouvelles technologies, c’est que les outils qu’elles apportent sont susceptibles de réduire la place de la main dans le procédé de fabrication. Les logiciels de CAO (Conception Assistée par Ordinateur) et de DAO (Dessin Assisté par Ordinateur), qui ont déjà pénétré un grand nombre d’ateliers, rendent désormais l’intention du créateur reproductible.

Crédit d’image : Futura Sciences

Les machines, procédés et matières exploitées connaissent des avancées fulgurantes. Leurs limites sont sans cesse repoussées. Les technologies de fabrication additive, caractérisées par l’impression 3D, qui révolutionnent depuis 20 ans le monde de la joaillerie, sont aujourd’hui de plus en plus sophistiquées, précises et abordables.

La tradition a besoin d’innovation

L’image des marques de luxe est presque entièrement bâtie sur la notion d’héritage. Chaque maison prestigieuse dispose de ses ateliers, dont elle ouvre volontiers les portes pour mettre en lumière la transmission des gestes ancestraux à laquelle elle contribue pleinement. Chacune se vante, dans sa communication, de la qualité remarquable produite par ses « petites mains ». En réalité, les artisans d’art sont des innovateurs en puissance. Rechercher la perfection, essayer, se tromper, recommencer pour libérer la créativité est au cœur même de leur ADN.

Baccarat, qui valorise le geste irremplaçable de l’artisan, est aussi l’une des maisons du luxe qui a le plus recours aux nouvelles technologies : four à bassin continu en 1967, conception de lustres assistée par ordinateur en 2000, technologie laser pour graver le cristal en 2007, nouveau procédé d’élaboration de cristal de couleur en 2010…

Crédit d’image : Prelle, vieux métier à tisser

À Lyon, Prelle, la plus ancienne manufacture de soieries et d’ameublement de la région a installé, à côté de ses métiers à bras sur lesquels il est possible de tisser certains velours ciselés, de nouveaux métiers ultra performants, avec conception assistée par ordinateur et commandes électroniques. Ces derniers permettent, en supprimant les coutures, de confectionner des tissus de grande largeur.

Crédit Vidéo : Bulgari

Au sein de la manufacture italienne Bulgari, plusieurs dizaines de métiers sont représentés, alliant les savoir-faire traditionnels aux technologies les plus modernes. Des techniciens hautement qualifiés, soutenus par des technologies de pointe assurent ainsi la conception de composants minuscules qui exigent un niveau de dextérité technique très élevé. Des machines à commande numérique taillent les blocs d’or ou d’acier, tandis que les « petites mains » assurent le polissage des pièces jusqu’aux plus petits maillons du bracelet de la montre.

Crédit vidéo : FRED savoir-faire

La marque de haute joaillerie FRED, de son côté, a créé en 2017 L’Atelier FRED au sein de son flagship parisien : un lieu alliant les technologies digitales les plus pointues au savoir-faire joaillier. De nombreuses marques de montres de luxe telles que Breitling ou Tag Heuer se sont, quant à elles, lancées sur le marché de la montre connectée.

Crédit vidéo : atelier FRED

L’évolution technologique semble aujourd’hui le meilleur moyen pour les métiers d’art de rester compétitifs dans une économie mondialisée où tout va très vite. Comment en effet, demain, parler aux maisons du luxe désormais férues de numérique et dont les clients sont ultra connectés, sans comprendre les codes de ce nouveau monde. Le digital apparaît ainsi comme un levier puissant pour améliorer l’efficacité de l’artisan sans nuire à son talent.

L’avènement de l’artisan numérique

La France compte près de deux cents métiers d’art. Réinscrire culturellement, mais aussi socialement ces artisans dans l’actualité et la sociologie (écologie, partage, personnalisation) de notre époque implique d’ouvrir ces savoir-faire à l’innovation et à la création.

Les besoins de personnalisation, qui se sont accrus dans le monde du luxe et favorisent la pièce unique, la petite série et le sur-mesure, obligent l’artisan à prendre le virage du numérique. Les nouveaux matériaux (plastiques, composites, alliages, textiles polaires, micro-fibres…), ainsi que les nouvelles technologies (microprocesseurs, logiciels, connectique…) et procédés de fabrication (injections, découpes laser ou au jet d’eau, impressions 3D…) viennent s’additionner aux savoir-faire manuels pour accroître les potentialités créatives. Débarrassé de certaines tâches mécaniques et répétitives, l’artisan retrouve du temps pour concentrer sa pensée sur les gestes qu’aucun autre que lui, et encore moins une machine, n’est capable de reproduire. Avec les modèles conçus sur ordinateur, tout devient possible et beaucoup plus rapidement.

Crédit d’image : Vision Egraving & Routing systems

Les artisans se dotent ainsi de machines numériques similaires à celles de l’industrie, ce qui les conduit à modifier leurs façons de faire et de penser les objets. L’Italie fait partie des pays les plus avancés dans cette transformation digitale, déjà bien réelle même au sein des plus petites entreprises. De nouveaux outils permettent à l’artisan d’art de diversifier, mais aussi de personnaliser ses créations, de mieux les insérer dans les process de fabrications des grandes maisons de luxe et de faciliter leurs exportations. On voit ainsi apparaître une nouvelle génération d’artisans numériques.

Quand l’ordinateur trouve sa place dans les grandes écoles de formation

Parce que certains procédés numériques sont aujourd’hui capables de réaliser des prouesses, la formation doit s’adapter et opérer sa révolution culturelle. L’erreur serait de rester enfermé sur son passé et de refuser la nouveauté. Le maître d’art 2021 est celui qui sait jouer et déjouer la machine, penser et agir avec elle.

On peut parler ici d’hybridation des compétences, qui se retrouve dans la complémentarité homme/machine en vue de développer de nouvelles intelligences et savoir-faire. L’occasion pour des artisans avides de développer leurs connaissances d’explorer un nouveau terrain d’expression.

Crédit d’image : Haute école de joaillerie, Bachelor numérique

Dans les écoles de formation en haute joaillerie ou en horlogerie, les étudiants disposent désormais de cursus intégrant une part exponentielle de compétences numériques. Ainsi, ils apprennent à créer à l’aide d’outils technologiques, même si les savoir-faire ancestraux demeurent au cœur de leur formation. Cette « digitalisation » est poussée par les maisons de luxe elles-mêmes, qui souhaitent ainsi pouvoir s’adapter plus rapidement aux évolutions du marché. Cartier est d’ailleurs le principal partenaire du premier Bachelor Design Bijou à forte valeur ajoutée numérique, lancé par la Haute École de Joaillerie de Paris début 2020.

Crédit d’image : Haute école de Joaillerie

Il semblerait donc que l’ordinateur trouve progressivement sa place dans les ateliers aux côtés des brucelles de l’horloger ou du bocfil du joaillier. Dans ce nouvel environnement, l’enjeu pour les organismes de formation est double. D’une part, il s’agit pour eux d’accompagner la mutation des savoir-faire traditionnels vers de nouvelles pratiques et, d’autre part, de favoriser l’émergence de nouveaux métiers d’excellence manuels issus de la transmission technologique et écologique.

Ils doivent aussi assurer le renouvellement de leurs équipements, ce qui nécessite des investissements très importants pour éviter l’obsolescence, mais aussi actualiser leurs compétences et apporter de nouvelles expertises. Le soutien des pouvoirs publics comme du secteur privé, notamment des maisons de luxe, est donc absolument nécessaire pour que la révolution numérique engagée dans les métiers d’art se poursuive sereinement.

L’impression 3D : une vraie révolution dans la joaillerie, mais pas seulement…

Dans le monde de la joaillerie, l’arrivée de la fabrication additive remonte déjà à près de 20 ans. À l’époque, elle a été comparée à l’arrivée du numérique dans la photographie. Une révolution, donc. Dans cet univers, cette technologie a pleinement trouvé sa place. Sans se substituer au travail de l’artisan, elle lui a procuré des avantages indéniables en termes de gain de temps et d’économies d’échelle, notamment en ce qui concerne la fabrication des moules, une étape particulièrement chronophage.

Les imprimantes 3D ont pourtant fait couler beaucoup d’encre, accusées de signer la mort des petits artisans. Une prophétie qui, depuis 20 ans, ne s’est toujours pas réalisée. L’impression 3D apporte en réalité au joaillier, une créativité augmentée, mais lui donne aussi l’occasion de concevoir des objets uniques et ultra personnalisés. Les logiciels de CAO sont même capables de suggérer de nouveaux modèles de moulage en cire à partir d’une première forme. Grâce à l’impression 3D, les lignes sont de plus en plus élaborées, avec une complexité souvent difficile à obtenir avec un processus manuel ou qui prendrait un temps infini.

Crédit d’image : Buzzwebzine , Maison 203 sac à main en 3D

Crédit d’image : Maison 203 collier imprimé en 3D

Et les joailliers ne sont pas les seuls à se laisser tenter. Le studio Maison 203, spécialisé dans la création d’accessoires de modes imprimés en 3D, a lancé l’an dernier un sac à main design très réussi, réalisé grâce à cette technique. De son côté, Ica & Kostika a dévoilé une collection de chaussures de luxe imprimées en 3D, Exobiology, aux lignes pour le moins originales. Quant à Julia Daviy, pionnière de la mode qui repousse chaque année un peu plus loin la création 3D dans ses collections, elle est à l’origine d’une jupe entièrement personnalisable et zéro déchet.

Crédit d’image : Robe imprimé en 3D , Julia Davvy

Dans les ateliers, on voit aujourd’hui apparaître des scanners 3D, des machines de haute précision capables de scanner un bijou, une bague, un bracelet, un collier et de le reproduire, voire de créer à partir de lui un nouvel objet. Autre nouveauté, l’impression 4D, qui permettra, demain, d’explorer une dimension supplémentaire, celle du temps. En effet, les objets créés via ce processus seront capables de se transformer en fonction du contexte (chaud, froid, humide…), grâce à des matériaux programmables (fibres de cellulose).

Le geste de l’artisan d’art augmenté par les nouvelles technologies

Pour autant, les outils numériques ne remplaceront jamais la maîtrise manuelle, qui reste au cœur du métier de l’artisan d’art. Ce dernier devra donc apprendre à manier tout aussi bien la souris que la lime ou le chalumeau !

Les logiciels de type CAO ou DAO, sont avant tout des aides à la conception et à la modélisation. Ils permettent de modifier un bijou en quelques clics, de tester des couleurs, des formes, des ajouts, des matériaux, et donc de faire évoluer sa pièce au fur et à mesure de sa fabrication. Là où 20 heures étaient nécessaires pour réaliser une première maquette de bijou à la main, 5 heures suffisent désormais.

Crédit d’image : Le club Mediapart

L’impact qu’auront les technologies sur les métiers d’art est évident et représente un défi aussi périlleux qu’excitant pour ces professionnels. Selon les secteurs, mais aussi le niveau d’appétence des artisans pour ces nouveaux savoirs, elles se développeront plus ou moins vite.

Si la révolution numérique dans ce secteur porte en elle un changement indiscutable, n’oublions pas que la généralisation de la mécanisation dans les ateliers au XXe siècle a, elle aussi, obligé les métiers d’art à repenser leurs méthodes sans pour autant les faire disparaître. Ainsi, la menace d’une disparition des métiers d’art, qui était brandie lorsque les premières technologies sont apparues dans les ateliers, s’est muée depuis en une vision bien plus positive et ambitieuse.

Reste que cette digitalisation porte en elle un paradigme profond. Là où il était acquis que la transmission des savoirs était nécessairement descendante, du maître vers l’élève, désormais, ce sont les jeunes apprentis, sortis de formation qui apportent un nouveau savoir au sein des ateliers. À la répétition du geste, ils greffent la nécessité de renouveler constamment les codes esthétiques. Aux secrets de fabrication, ils répondent démarche collaborative. Les artisans qui débutent dans les métiers d’art sont désormais détenteurs de nouvelles aptitudes et compétences que ne maîtrisent pas leurs aînés.

Crédit d’image : Bulgari

Sous l’influence déterminante des nouvelles technologies, l’artisanat vit donc aujourd’hui une inversion de son modèle. Si cette accélération est déstabilisante, rappelons que les portes des ateliers ne sont jamais restées bien longtemps fermées au progrès. À chaque époque, leurs savoir-faire ont été bousculés, challengés, augmentés. Le numérique n’est finalement qu’une nouvelle étape dans l’histoire de leur révolution permanente. Il aura fallu 15 ans au marché du luxe pour ne plus subir la transformation digitale mais l’embrasser. L’horlogerie et la joaillerie, mais aussi la haute couture, profitent désormais pleinement des outils nés de la révolution digitale. Reste à trouver le juste équilibre entre innovation et production manuelle : une gageure encore pour de nombreux artisans.

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