Qui seront les leaders du luxe de demain ?
Par Aurélie Perrin |Table des matières
Sommées de se réinventer par un public de moins en moins captif et de plus en plus préoccupé par les questions environnementales ; bousculées par de nouveaux entrants agiles qui regardent vers l’avenir : les maisons de luxe traditionnelles se voient contraintes de revenir sur nombre d’acquis supposés inaliénables. Obligées de s’aventurer sur des territoires qui leur étaient jusqu’il y a peu encore, totalement inconnus, elles se réinventent aujourd’hui pour espérer exister demain.
La vague des « start-up du luxe »
Elles sont dans l’air du temps, cassent les codes dans l’univers de la joaillerie, de la mode ou de la maroquinerie avec audace. Nativement digitales, avec à leur tête de jeunes créateurs et créatrices inspirés, elles font bouger les lignes. On dit même d’elles qu’elles dessinent l’avenir du luxe. Elles, ce sont les jeunes maisons, ces petites marques encore confidentielles mais qui grignotent chaque année une part toujours plus importante du marché du luxe.
Un temps regardées avec dédain, puis ironie, elles sont aujourd’hui épiées, copiées par les acteurs traditionnels du luxe, qui n’hésitent pas à solliciter des collaborations pour profiter de leur vitalité. Dans la course à la GenZ, ces nouveaux entrants ont clairement pris l’avantage. Pour autant, ils restent bien fragiles face à des maisons iconiques, connues dans le monde entier.
Pour preuve 10 groupes français figurent aujourd’hui dans le Top 100 des entreprises du luxe (Deloitte 2016), représentant près de 24 % des ventes totales dans le monde. Quand les marques de luxe traditionnelles se contentent de défendre leur territoire, ces jeunes entrants sont encore en train de construire le leur. Plus conservatrices que révolutionnaires, les grandes maisons se voient néanmoins obligées de sortir du confortable cocon qu’elles avaient tissé pour embrasser une nouvelle étape de leur histoire.
Mélange de genres
Dans tous les pans de l’économie, de nouvelles marques et de nouveaux modèles économiques bouleversent l’économie : Airbnb, Uber, Alibaba, Netflix… Le secteur du luxe n’échappe donc pas à la règle et doit assouplir les règles d’entrée dans son club exclusif. Apple est désormais aussi désirable que Dior, voire plus pour les Millennials et la GenZ. Cette nouvelle clientèle oblige les marques de luxe à s’intéresser au consommateur, à explorer son comportement et sa mentalité. Fini l’époque où l’avis du client ne comptait pas ou si peu.
Le rapport Future of Luxury de Trendwatching, décrit ainsi que la richesse croissante et la consommation sur mobile ont créé un « changement épique vers des formes de consommation de luxe plus variées, complexes, individualisées et significatives ».
Crédit d’image : Capsule de Pharell Williams pour Chanel.
Comme le souligne Bain & Co dans son rapport « Luxury Study 2017 Spring Update », les « marques doivent repenser leurs stratégies et s’adapter à un état d’esprit Millennials ». Mais séduire un public plus jeune nécessite aussi de réexaminer sa marque à la loupe et de procéder à des coupes sévères !
Dans un paysage concurrentiel redessiné, où la qualité et l’artisanat sont considérés comme une évidence, et ne sont donc plus les principaux éléments de choix, les marques traditionnelles cherchent un nouveau souffle. Et elles le trouvent dans la collaboration avec des artistes, des célébrités, des influenceurs, mais aussi de nouveaux entrants. L’objectif : mettre en avant leur originalité, leur liberté d’esprit et leur ouverture à la nouveauté.
Crédit d’image: compte Instagram de Nicolas Guesquière , Louis Vuitton X Lightning (Final Fantasy)
En 2016, Louis Vuitton a ainsi élargi sa communication dans le cadre de sa campagne femme printemps, qui a mis en vedette à la fois Jaden Smith, un jeune homme de 17 ans, portant donc des vêtements destinés aux femmes, et Lightning, héroïne virtuelle du jeu vidéo Final Fantasy, devenue depuis l’une des nouvelles égéries du malletier. Selon Vogue, le directeur créatif de la maison Nicolas Guesquière, a commenté cette décision par ces mots : “Nous vivons tous avec cette nouvelle dimension. Nous parvenons tous à intégrer ces nouvelles notions de numérique, de virtuel et de cyber à notre vie réelle”. En réalité, ce qui se joue ici n’est pas tant la modernité de la marque que la volonté de s’adresser aux jeunes consommateurs. Une opération séduction renouvelée depuis par la marque dans la cadre d’une collaboration avec Sophie Turner de Game of Thrones.
Crédit d’image : Jaden Smith pour la collection femme de Louis Vuitton (GQ)
Selon le True-Luxury Global Consumer Insight 2019, les collaborations entre marques ou avec des personnalités, qui sont généralement présentées sous la forme d’éditions limitées, sont particulièrement populaires dans la maroquinerie et les baskets. Parmi les plus connues, on peut citer Chanel et Pharrel Williams, Adidas et Yeezy du rappeur Kanye West ou encore Louis Vuitton et Supreme.
Crédit d’image : Yeezy Day de Kanye West chez Adidas
Une fusion de perspectives, de valeurs et d’héritages, qui a atteint son apogée en mars 2018, lorsque Vuitton a nommé Virgil Abloh, fondateur de la marque Off-White au poste de directeur créatif Homme. De son côté, Chanel fait désormais partie des actionnaires de la filiale chinoise du joailler Courbet, connu pour ses diamants de synthèse.
Crédit d’image : Louis Vuitton x Supreme (compte Instagram de Supreme)
Fragmenter son audience pour mieux lui parler
Les générations Y et Z sont à l’origine de la majorité des ventes de produits de luxe dans le monde. Ces nouveaux consommateurs aisés, plus jeunes mais pas moins exigeants, réécrivent, depuis 10 ans déjà, les règles de l’industrie du luxe amenant de nouveaux besoins et comportements, ainsi que des modes de vie infusés au numérique.
Ils représentent aujourd’hui le segment le plus important des acheteurs de luxe et s’engagent en permanence avec le contenu en ligne, attendant des expériences numériques très sophistiquées. Les marques de luxe doivent donc apprendre à parler leur langue pour leur offrir des expériences virtuelles supérieures. C’est d’autant plus vrai, que les consommateurs se trouvent aujourd’hui majoritairement en Asie, où la population est la plus active numériquement au monde.
Crédit d’image: Campagne Glossier “All about Real People”
Ils représentent aujourd’hui le segment le plus important des acheteurs de luxe et s’engagent en permanence avec le contenu en ligne, attendant des expériences numériques très sophistiquées. Les marques de luxe doivent donc apprendre à parler leur langue pour leur offrir des expériences virtuelles supérieures. C’est d’autant plus vrai, que les consommateurs se trouvent aujourd’hui majoritairement en Asie, où la population est la plus active numériquement au monde.
Crédit d’image : Glossier
Nativement digitales, avec des modèles de distribution D2C, très dématérialisés, les nouvelles marques de luxe, disposent d’une data et de systèmes d’information qui leur permettent d’éclairer cette nouvelle consommation. C’est le cas des soins beauté Glossier ou Reformation. L’écoute sociale est leur première arme. À travers elle, elles cherchent à comprendre leurs clients, mais surtout à fragmenter leur audience pour générer un marketing plus fin et adapté. En effet, si on a coutume de parler de façon globale des Millennials et de la GenZ, il existe en réalité une multitude de sous-catégories qu’il est essentiel de connaître pour performer.
Crédit d’image : Campagne “Le Carbone est annulé” de Reformation
Les marques patrimoniales souffrent encore parfois d’un manque d’informations sur la façon dont les consommateurs perçoivent le marché. À l’ère numérique, alors que la plupart des consommateurs de luxe en Chine ont 35 ans ou moins, les préférences ont tendance à changer en permanence. Les marques qui ne disposent pas d’une infrastructure numérique de pointe opèrent donc dans l’obscurité.
Réinventer l’expérience du luxe à l’aune du digital
Selon Bain & Company, le canal en ligne, qui connaît déjà une croissance à deux chiffres en 2019, continuera de gagner des parts de marché et en représentera jusqu’à 30 % d’ici 2025. L’essor des médias sociaux et des plates-formes, comme Instagram et WeChat, a clairement mené à cette révolution digitale du luxe. Les marques patrimoniales, un temps réticentes, ont depuis rangé leurs doutes au placard et franchi le Rubicon.
Crédit d’image : Gucci X The North Face pin store , Los Angeles (Input)
Crédit d’image : Gucci Pin Store, Les Galeries Lafayette Haussman, Paris
En 2019, Gucci a ouvert des magasins éphémères, appelés « Pin », pour redynamiser l’expérience client en points de vente. Ce nouveau concept mise sur des expériences numériques interactives et immersives autour de la réalité augmentée et de dispositifs digitaux originaux.
Crédit d’image : Pin Store Gucci de Chicago
Interdites de défilés pendant plusieurs mois, certaines marques, qui allaient à reculons sur ces nouveaux canaux, ont sauté le pas, à l’image de Céline et de son somptueux show filmé au château de Chambord. En septembre 2020, la maison de couture britannique Burberry a diffusé son émission printemps-été 2021 sur Twitch, devenant la première marque de luxe à diffuser en direct un défilé de mode sur ce service de streaming vidéo en direct, habituellement fréquenté par les joueurs de jeux vidéo. Le live shopping, déjà très populaire en Asie, gagne, quant à lui, en popularité à l’échelle mondiale. Identifiée par les marques de luxe comme une véritable machine à cash, cette tendance va se poursuivre et accélérer dans les mois à venir.
Crédit d’image : Défilé Céline au château de Chambord
Crédit d’image : Live shopping (Arcane)
En ligne, les outils de virtualisation poussent l’expérience de personnalisation à son paroxysme, en donnant la possibilité de créer une pièce signature, de choisir les tailles, couleurs et accessoires, de graver ses initiales… Bien exécutée, cette technique s’avère extrêmement efficace dans le marketing de luxe. Ainsi, Baccarat, Baume, Guerlain ou encore Kenzo, s’y sont déjà essayées avec succès.
Transparence et sens : les nouveaux marqueurs du luxe
En quête de sens et de repères, mais aussi de transparence et d’authenticité, les consommateurs attendent des marques bien plus qu’un produit. Se montrer plus inclusif, durable et éthique n’est plus une option. Le consommateur souhaite que la marque de luxe devance ses désirs, mais aussi qu’elle s’ouvre à lui. Les nouveaux entrants l’ont bien compris. Ils n’hésitent pas à communiquer sur leurs bonnes pratiques éthiques et environnementales, mais aussi à ouvrir les portes de leurs ateliers pour des visites privées. Leur storytelling parle d’avenir et d’engagements, plutôt que de qualité et de passé.
Crédit d’image : Ananas Anam (alterfin)
Elles lancent, là encore, un nouveau défi aux marques historiques : repenser ce qui est intellectuellement bon et juste pour devenir désirable. L’exemple le plus parlant est sans doute celui de Tesla qui, en quelques années, a rendu les voitures électriques extrêmement attrayantes. D’autres initiatives se font jour pour développer des pratiques plus « dans l’air du temps », comme celle du maroquinier Ananas-Anam avec son cuir vegan à base d’ananas.
Crédit d’image : sac en cuir d’ananas (Alikjagecta)
Les marques de luxe traditionnelles doivent donc se réinventer à la source : repenser les matériaux avec lesquels elles conçoivent leurs produits, retravailler leur approvisionnement pour le rendre plus vertueux, ainsi que les normes sociales qu’elles pratiquent, éviter la surproduction… En effet, ce n’est plus tant la qualité des matériaux qui définit le luxe que les valeurs sous-jacentes qu’il porte et son impact sur la planète. Le déplacement du curseur n’est pas anodin et engage un changement de mindset. Ce qui est sûr, c’est que les marques de luxe patrimoniales doivent prendre au sérieux ce nouveau positionnement en matière d’éthique et de durabilité qu’ont adopté nativement les nouveaux entrants. Être engagées dans une cause, devenir des entreprises à mission doivent devenir des objectifs prioritaires.
Crédit d’image : Défilé Gucci engagé sur l’avortement (Vogue)
Si beaucoup choisissent d’embrasser la cause environnementale, certaines optent pour d’autres combats comme l’égalité Femmes-Hommes ou le commerce équitable. Gucci, notamment, défend la cause de l’avortement. En juin 2020, la maison a également sorti sa première expérience de circularité, Gucci Off the Grid, une ligne d’accessoires et de streetwear fabriquée à partir de matériaux recyclés, biologiques, biosourcés et issus de ressources durables.
Crédit d’image : Campagne Gucci off the Grid : le Premier pas vers une production circulaire (Vogue)
Construire vers l’avenir plutôt qu’à partir du passé
Pendant longtemps, l’histoire et le patrimoine des grandes maisons de luxe étaient considérés comme des atouts sur lesquels ces marques pouvaient capitaliser sans se poser de questions. En deux décennies à peine, les choses ont radicalement changé. Ces mêmes marques patrimoniales souffrent aujourd’hui de ce positionnement passéiste, que ce soit dans la joaillerie, les voitures de luxe, la mode, la haute horlogerie, la vente au détail ou la fabrication de chaussures sur mesure.
Des maisons centenaires ont soudainement commencé à perdre du terrain face à de nouveaux entrants résolument tournés vers l’avenir. À leur naissance, elles se sont démarquées en capitalisant sur un domaine d’expertise : une méthode de production artisanale, un sens du design inégalé… Tout était centré sur le produit. Un produit désirable que tout le monde rêvait de posséder. Pendant de nombreuses années, leur hégémonie n’a jamais été remise en cause car très peu d’acteurs se partageaient le marché du véritable luxe.
Crédit d’image : Daniel Wellington, montres à bracelet interchangeables
Aujourd’hui, ce modèle est à l’arrêt. Tout d’abord, avec la volonté de se saisir des opportunités offertes par la mondialisation, les grandes Maisons du luxe ont baissé leur niveau de qualité, réduisant l’écart avec les autres acteurs. Par ailleurs, avec beaucoup plus de concurrents, l’artisanat de haute qualité est « attendu », et aucun consommateur ne paiera plus cher pour ça. Ces derniers n’ont jamais été aussi jeunes, ni aussi bien renseignés. Leurs préférences sont façonnées de plus en plus tôt et leur attention est plus concurrentielle que jamais. Résultat, de nouveaux entrants sont venus perturber le marché. Pendant plus de 100 ans, l’industrie horlogère n’a jamais eu l’idée de vendre des bracelets de montres séparément. Apple, lui, l’a fait et avec succès !
Se concentrer sur la narration
Pour qu’une marque soit perçue comme du luxe, elle doit pouvoir influencer, inspirer et innover. Si elle est trop ancrée dans son héritage passé, elle perd en influence, devient ennuyeuse, inintéressante pour les consommateurs. Or, si une marque n’offre pas une valeur extrême, elle n’est plus considérée comme du luxe, quelle que soit l’importance de son nom.
Contrairement aux nouveaux entrants, totalement « customer centric », les marques patrimoniales du luxe peinent encore à se concentrer sur leur narration. Or, les Millennials, tout comme la GenZ achètent désormais des marques plutôt qu’un produit. Les grandes Maisons de luxe doivent donc retrouver cette capacité à se connecter et à créer de la pertinence pour les jeunes consommateurs. Il ne s’agit pas d’un chantier à repousser, mais bien à embrasser sans attendre. Se construire un nouveau storytelling sans renier son histoire est sans aucun doute l’exercice de positionnement le plus complexe à réaliser mais il est incontournable.
Les histoires que racontent les marques doivent davantage évoquer l’authenticité. L’expérience doit être axée sur la valeur, qui créera de nouvelles opportunités de dialogue avec les consommateurs, en apportant une contribution significative à leur mode de vie, tout en favorisant un changement positif dans le monde. Cette réorientation du discours du produit vers la marque représente une source d’opportunités phénoménale.
Les leaders du marché du luxe de demain ne seront pas nécessairement les plus grandes Maisons d’aujourd’hui. Ce seront celles qui seront capables de comprendre ce que veulent les consommateurs à un instant T. Cela semble simple, mais c’est loin d’être le cas. Cette nouvelle réalité oblige les marques à regarder bien au-delà de leur produit.
D’autres changements viendront et les attentes des clients continueront d’augmenter. L’avenir appelle les marques de luxe à évoluer et à s’adapter en fonction du paysage sociétal. Elles devront revoir les hypothèses de base et les règles du jeu traditionnelles du luxe, apprendre de nouveaux vocabulaires et innover.
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